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1. AU SERVICE DES INÉGALITÉS
Comme leur nom l’indique, les paradis fiscaux sont
des territoires qui permettent aux individus et aux
entreprises d’échapper à l’impôt. Ces pratiques
démarrent à la fin du 19ème siècle et entrent sur
l’agenda des politiques publiques internationales
(Société des Nations) dès les années 1920.
Trois étapes importantes sont à l’origine de ces
pratiques. Le principe d’une très faible taxation
pour attirer les sièges sociaux des entreprises naît
aux Etats-Unis à la fin du 19ème siècle au New Jer-
sey et au Delaware. Le principe de la résidence fic-
tive (contrôler une activité dans un pays mais payer
ses impôts dans un autre) voit le jour en Angleterre
en 1929 par la décision de juges britanniques. La
possibilité d’une protection renforcée de l’identité
des clients naît ensuite dans la loi bancaire suisse
de 1934 : l’employé d’une banque suisse livrant des
informations concernant l’identité de ses clients,
nationaux ou étrangers, y compris à son propre
gouvernement, commet désormais un acte crimi-
nel.
Personne n’a planifié l’existence des paradis
fiscaux, ils sont le résultat d’évolutions histo-
riques nationales différentes.
Moindre imposition, résidence fictive et secret
sont les trois piliers sur lesquels se développent
les paradis fiscaux
, lentement jusqu’à la fin des
années 1960, puis plus rapidement, avec une ac-
célération au cours des années 1990.
Aujourd’hui, les différentes estimations dis-
ponibles, toutes très fragiles, semblent indiquer
que
les grands Etats perdent chaque année
en recettes fiscales au minimum l’équivalent
de 2 à 4 % de PIB,
les paradis fiscaux étant l’un
des instruments de ces fuites. Le rapport du
parlement européen sur la lutte contre la fraude
fiscale, l’évasion fiscale et les paradis fiscaux de
mai 2013 souligne que « selon les estimations,
la fraude fiscale et l’évitement fiscal engendrent,
chaque année dans l’Union, un manque à gagner
de 1000 milliards d’euros. Ce manque à gagner
fiscal alarmant représente, chaque année, un coût
d’environ 2 000 euros pour chaque citoyen euro-
péen. En moyenne, les pertes fiscales dépassent
aujourd’hui, en Europe, le montant total dépensé
par les États membres en soins de santé, et elles se
chiffrent à plus de quatre fois le montant dépensé
dans le domaine de l’éducation dans l’Union ».
Les paradis fiscaux exercent également une
forte pression en faveur du moins disant fiscal
.
Les recettes fiscales totales des pays de l’Ocde,
mesurées en pourcentage de la richesse produite,
n’ont cessé de croître du milieu des années 1960
au milieu des années 1990, avant de se stabiliser
ces dix dernières années autour de 35 %. Au sein
de l’Union européenne à 28, le taux d’imposition
des entreprises a perdu 12 points de pourcentage
entre 1995 et 2014, passant de 35% à 22,9%. Les
Etats ont intégré l’existence des paradis fiscaux et
internalisé la nécessité de ne pas trop demander à
l’impôt en dépit des immenses besoins sociaux et
économiques que réclame une insertion réussie et
équitable dans la mondialisation.
Le problème est encore plus criant pour les
pays en développement
qui se voient privés, par
l’évasion fiscale des multinationales et les détour-
nements de fonds des élites publiques corrom-
pues, de recettes fiscales essentielles à leur dével-
oppement.
En servant prioritairement les intérêts des plus
aisés - individus, entreprises, banquiers, investis-
seurs, etc. – les paradis fiscaux nourrissent les
écarts de fortune au sein des pays. Ils
sont l’un des
instruments qui permettent aux inégalités de
s’accroître.